La faculté de théologie protestante de Montauban aux lendemains de sa création, en 1808

Conférence donnée par Monsieur Guy Astoul le 19 mars 2008

Pendant tout le XVIIIe siècle, la formation des futurs ministres de l’Eglise réformée est assurée essentiellement au séminaire de Lausanne. Depuis 1728, les postulants français au ministère réformé n’ont pas le choix : ils doivent se rendre dans cette ville helvétique pour apprendre la théologie et recevoir l’imposition des mains. Sur les 176 pasteurs en activité sur le territoire, en 1789, 91% ont fréquenté ce séminaire. C’est dire l’importance qu’il peut avoir dans la restauration des Eglises calvinistes en France, mais aussi les énormes besoins qu’il reste à couvrir pour la formation théologique des pasteurs.
Dans la réorganisation des cultes telle qu’elle s’opère après le concordat et les articles organiques, la question de la formation des pasteurs est posée. Pour accueillir une ou plusieurs facultés de théologie réformée Montauban est en concurrence avec plusieurs villes.
Pourquoi et comment a-t-elle été désignée ? Comment s’est organisée cette faculté sous l’impulsion d’un « pasteur du temps des Lumières » Benjamin Sigismond Frossard ?

1.    Les prémisses d’une création

Avec Napoléon Bonaparte, premier consul, et la loi sur les cultes votée le 18 germinal an X (articles organiques d’avril 1802), une nouvelle organisation du culte protestant est instituée et les Eglises réformées réclament très vite la mise en route d’une faculté de théologie. L’académie de Genève, une ville sous administration française déjà, est directement sollicitée pour assurer cette formation. Mais elle n’y est pas favorable. Pour l’implantation d’une faculté de théologie, l’empereur semble hésiter entre différentes villes, dont Montauban. Des circonstances favorables ont conduit Napoléon à la favoriser. D’autant que les protestants montalbanais, comme les notables catholiques, se montrent particulièrement attachés à un homme qui a rétabli la paix et restauré l’ordre. Lors du plébiscite sur l'établissement de l'Empire, l'arrondissement de Montauban approuve avec 10.986 oui et aucun non ! Belle unanimité que Napoléon a dû apprécier et qui explique pourquoi il a été sensible aux récriminations des Montalbanais déçus que leur ville n’ait pas été choisie comme chef-lieu de département… Les protestants ont largement participé à toutes les entreprises de séduction menées envers l’empereur et son entourage. Lors de la venue de Cambacérès, les autorités réformées ont été associées et encore plus lors de la venue de Napoléon et de l’impératrice, le 29 juillet 1808.
C’est à l’occasion de cette visite que l’empereur promet au président du consistoire Robert Fonfrède une faculté de théologie à Montauban. Le compte rendu de l’entrevue entre Napoléon et la délégation du consistoire témoigne des « sentiments d’admiration, de respect, de reconnaissance et d’amour dont ils sont pénétrés pour le souverain » ; il témoigne aussi des hésitations impériales, en particulier lorsque l’empereur pose des questions « sur le lieu le plus convenable pour l’établissement d’une école où les candidats au ministère pourraient se former… » Il semble pourtant  clair, dès cette date, que Montauban apparaît toute désignée pour accueillir la faculté.
Daniel Robert, historien du protestantisme, considère que la ville de Nîmes aurait dû avoir la préférence : sa communauté protestante est beaucoup plus importante que celle de Montauban et sa position au cœur d’une région baignée de protestantisme est très favorable. Il voit dans le choix impérial, une volonté de gratifier la modération et sans doute la vénération des huguenots montalbanais. Nul doute que l’empereur s’est montré très sensible à leur soutien sans faille.
Dès le 17 septembre, le décret portant organisation détaillée de l’Université prévoit une faculté qui serait « incessamment établie à Montauban ». Le choix est définitivement fait pour la plus grande joie des protestants du Midi. Le décret impérial du 17 octobre 1808 institue officiellement cette faculté.




2.    L’installation de la faculté

Robert-Fonfrède d’abord pressenti pour l’organiser meurt en février 1809. Un homme est alors appelé par le consistoire de Montauban pour mettre en route le projet : Benjamin-Sigismond Frossard. Réputé pour ses talents d’orateur et son dynamisme, il est tout désigné pour exercer cette fonction. Qui est-il ? Né à Nyon dans le canton de Vaud en 1754, il fut pasteur à Lyon à partir de 1777. Robert Blanc, dans Un pasteur du temps des Lumières : Benjamin-Sigismond Frossard (1754-1830), (Paris, Honoré Champion, 2000), le présente comme un érudit et un ministre « éclairé ». Il est l’auteur de La Cause des esclaves nègres et d'un Cours de morale évangélique. En 1809, il est le fondateur de la Faculté protestante de théologie de Montauban. D’une énergie peu commune, il quitte ses fonctions pastorales en 1816.
Frossard est désigné pour être président du consistoire, pasteur, doyen de la faculté. Il arrive à Montauban le 29 avril 1809, entre en contact avec toutes les autorités et juge nécessaire d’opter rapidement pour un lieu digne d’accueillir la faculté. L’organisation et la mise en route de cette institution ont été laborieuses. Déployant une grande activité, il s’efforce d’obtenir un nombre suffisant de professeurs, un bâtiment et quelques crédits pour des bourses. Il choisit l’ancien couvent des clarisses, mais le bâtiment a besoin de nombreux travaux de rénovation.

      
3.    La bibliothèque est instituée dès l’origine

À Paris, Frossard sollicite de l'Etat un fonds pour constituer une bibliothèque, d'après une liste dressée par le professeur Combes-Dounous. Une lettre du 19 septembre 1809, signée du ministre par intérim Joseph Fouché, autorise le pasteur Frossard à puiser dans les collections des bibliothèques du ministère de l'Intérieur et du Tribunat, assemblée que Napoléon venait de dissoudre en 1807. Il s'agit surtout de livres anciens, saisis dans les bibliothèques ecclésiastiques ou de nobles émigrés de Paris.

5320 volumes sont choisis au ministère de l'Intérieur. Les livres sont ensuite transportés à Montauban où ils arrivent en avril 1810. Les collections s'enrichissent la même année du don de 600 volumes fait par le baron Jeanbon Saint André.

4.    La mise en route des enseignements

Frossard définit ainsi sa conception du rôle du pasteur : « Les pasteurs protestants sont de véritables professeurs de morale. Ils sont à côté de leurs frères depuis le berceau jusqu'au lit de mort, à côté des citoyens pour les fortifier dans l'amour du Souverain, des lois et de la patrie, à côté des pères pour les guider dans l'instruction de leur famille, à côté des enfants pour leur inspirer le respect filial qui conduit à toutes les vertus. Ils instruisent en public ; ils exhortent les particuliers. Ils consolent l'affligé, bandent les plaies du malade; ils rendent à l'espérance l'homme profondément affligé. Pour ces paternelles fonctions, il faut plus que du zèle et de la sagesse. Il faut beaucoup d'instruction. »

En décembre 1809 paraît l’arrêté du Grand-maître de l’Université en vertu duquel sont nommés six professeurs à la faculté de théologie de Montauban. Dès le mois de janvier suivant, les cours commencent dans l’ancien couvent de sainte Claire qui est acheté, le 7 juin, puis rénové.

La conception de Frossard le conduit à prôner un enseignement très complet avec 7 objets d’études :
1° La théologie naturelle et révélée
2° La morale évangélique
3° L'histoire ecclésiastique
4° La critique sacrée ou l'interprétation des livres de l'ancien et du nouveau Testament
5° L'éloquence de la chaire
6° L'étude du grec, de l'hébreu et le perfectionnement des belles-lettres latines
7° La philosophie pour les branches utiles à un théologien

Le règlement très court, prévoit dans ses articles 1 à 6 : quatre années d'études consécutives pour être admis au ministère évangélique, sanctionnées par des examens annuels portant sur la totalité des matières enseignées. Les examens pour la réception à la licence et pour le ministère comporteront des questions posées par chaque professeur : « composition et récitation sur un texte et un sujet prescrits par le Conseil de la faculté d'un sermon et d'une catéchèse » - l'un et l'autre en français, préparés en quatre jours, enfin, « par écrit et en chambre close, composition sur un sujet de dogme ou de morale.
L’article 11 prévoit que les candidats admis au Ministère évangélique recevront de Monsieur le Doyen de la Faculté un certificat qui attestera leur bonne conduite, les études qu'ils ont faites, les examens qu'ils ont subis, le grade de licencié qu'ils ont reçu, le serment qu'ils ont prêté et leur consécration au Ministère évangélique.

Quels sont les effectifs en 1812 ? Une circulaire du doyen aux consistoires donne un total de 70 étudiants, qui se repartissent comme suit : 8 étudiants en théologie « qui recevront l'imposition des mains pour le ministère évangélique à la fin de juillet 1812 » ; 19 étudiants qui ont 2 ans à passer à la faculté ; 14 étudiants de la troisième année ; 13 étudiants de la quatrième année et 16 étudiants en philosophie et belles-lettres.


En dépit des difficultés, la faculté de théologie devient très vite opérationnelle et assure efficacement la formation des futurs ministres du Midi. Le rôle de Benjamin Sigismond Frossard a été déterminant. Révolutionnaire modéré rallié au bonapartisme, « à la tête de la Faculté, par sa haute valeur personnelle, son entregent, son autorité morale, il est devenu un homme-clé » (Robert Blanc), il a surtout fait profiter cette institution de son formidable réseau de relations.
Il reste le problème posé par le choix de Montauban. Dès l’origine, la préférence de Napoléon a suscité désapprobations et critiques. Il a dès lors été très difficile de résister quand les grandes villes universitaires revendiquent d’avoir une faculté de théologie, mais le quai Montmurat a tout de même accueilli cette faculté pendant plus d’un siècle…